
Par Edith GODIN,
Ethnologue du proche - Valenciennes
Quelques mots … en pré-textes …
L’ethnologue étant, entre autre, le chercheur-acteur qui, dans
les sciences humaines, étudie la ou les sociétés et leur culture, porter attention à l’occasion
de cet éditorial aux propos réfléchis des acteurs sociaux et des médiateurs rassemblés dans ce
quatrième numéro des Ateliers inachevés sous la forme d’une société d’écrivains, m’est donc chose
bien passionnante et intérêt partagé.
Le travail de l’ethnologue est d’une part de rechercher les invariants et les variants qui font
l’identité de la société concernée, soit-elle grande ou petite, et, à partir de ce fondement
identitaire, de percevoir d’autre part les formes évolutives qu’elle se donne pour être dans un
processus de développement adéquat et utile à la communauté humaine.
Chercher, percevoir, trouver, chercher à nouveau… sont des verbes qui, au cœur de la connaissance et
de l’expérience, ne sont pas sans lien avec celui, lui aussi réfléchi, de s’étonner !
A propos des textes...
Mon étonnement premier à propos des articles proposés dans cette revue a été de retrouver, sous
des plumes différentes, une variation sur un même sujet qui fait l’unité de ces écrits : celui de la « règle du jeu »,
autrement dit de la « loi », permettant que s’accomplisse la fonction de médiation, et dont le médiateur est le représentant.
Cette règle ou loi l’autorise, dans le jeu dramatique de la vie et particulièrement quand tout semble disloqué, quand la parole est dispersée, à donner du jeu dans une intrigue qui n’est pas un compte de fées mais plutôt un compte des faits nécessitant, pour se dénouer, une autre échelle de régulation, voire d’élévation.
Il est vrai que « c’est d’autant plus dur de jouer que l’on est devenu adulte … que de multiples barrages empêchent de se laisser aller au jeu : la peur du ridicule, la peur de mal comprendre une règle qui peut sembler difficile, la peur de perdre aussi… et que fragiles de toutes ces blessures, il nous faut nous réconcilier avec le jeu » (P. Deru, Le jeu vous va si bien, Le Souffle d’Or, coll. Créativité, 2006).
Aussi, est-il vraiment nécessaire de donner du jeu (de société et/ou de couple) et de proposer un jeu ayant pour objectif « autre chose que de dresser les joueurs les uns contre les autres en ne valorisant que les plus forts ou les plus performants, mais un jeu fondé sur la solidarité et l’entraide… Utopie ? Non, ces jeux existent même s’ils sont encore à faire connaître » (Revue Non violence-actualité, L’apprentissage coopératif, n° 257).
Ainsi, faire connaître et reconnaître la médiation dans le cadre d’une coopération entre tous les partenaires et « aidants » au service des familles et de l’enfance… le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? C’est la question posée dans les deux premiers articles, écrits par Gisèle Decherf (directrice-adjointe de l’ADECAF du Nord) et par Jean-Pierre Haza (médiateur familial), comme par Claire Denis (médiatrice familiale) dans la première partie du texte final consacré à la médiation dans un contexte particulier et à l’analyse des pratiques.
D’autres interrogations, au pluriel, sont posées par Bernard Cortot… Car, dans le jeu de coopération toujours renouvelée entre le médiateur et les médiés et entre les médiés eux-mêmes, il n’y a pas, de manière dichotomique, de réussites face à des échecs, de gagnants face à des perdants. Chercher un accord, le modeler, en évaluer peu à peu la justesse, n’est-ce pas réellement entrer et avancer dans le processus d’une variation dont le son n’est plus en mono, mais déjà en stéréophonie ?
A partir de là, une musique des espoirs tel un poème comme celui de Olga Charlotte Auber peut s’écrire, se jouer, se parler !
Le langage, la parole, sont, en effet, révélations de tout un pré-construit éthique. Comme une architecte, Anne-Laure Petit-Jean poursuit sa présentation des différents matériaux éthiques que sont les dispositions et les valeurs propres à chacune des personnes, propres au couple demandant une médiation, propres à l’ensemble vivant formé par le médiateur et les médiés, propres à la médiation en tant qu’institution.
« Parler en père, parler en mère, c’est habiter cette place » (Hurstel F., La déchirure paternelle, PUF). La parole est un dispositif humain qui, en effet, ne connaît pas d’achèvement… elle est potentiel à libérer et libérant, elle est lieu de création symbolique.
Si la Parole, autrement dit la Loi symbolique, transcende nos paroles, il est de notre responsabilité de les rendre justes en les ajustant à une éthique personnelle, professionnelle, citoyenne.
Avoir une éthique qui transcende les aspects de nos vies, être en accord avec soi- même… Cet avoir et cet être sont tout sauf un faux-semblant ! C’est avec conviction que nous le signifie Audrey Chevalier en parlant avec justesse des « effets de la neutralité du médiateur ». Dans la pratique de la médiation, dans le registre du réel donc, elle nous convainc que la neutralité n’est en rien une posture de retrait ; elle est avancée, disponibilité, souplesse de l’esprit, donnant du jeu aux « je » et aux « nous ». Ainsi, la neutralité bien comprise a un effet heureux : celui d’un soin atténuant ou guérissant bien des contractions et rigidités que, souvent, nos visages (si ce n’est nos discours) ne peuvent cacher.
Tous les âges de la vie, fussent-ils troisième ou quatrième, sont redevables de regards attentionnés et de médiation, surtout lorsque les liens trans-générationnels sont devenus sujets de souffrance. En vérité, nous dit avec empathie Claire Denis, y a-t-il "aidance" à inventer (comme ce mot) et à apporter aux personnes, au début ou au soir de leur vie, qui font famille, même difficilement ? Selon la demande, l’aidance se pratique soit en apportant secondarité aux "aidants" qui sont proches en parole et en acte de ces personnes soucieuses du comment reprendre un dialogue, soit en proposant de manière concertée le dispositif éthique de médiation où l’entrée en jeu du "tiers" dans l’entre-deux détermine un lieu indépendant de parole et de ré-invitation à l’échange.
En tout cas, si la médiation permet un accord opéré par une triade, la médiation même et l’analyse de sa pratique ne peuvent se jouer sans référence à une autre triade opérationnelle constituée par l’éthique de responsabilité, l’éthique de conviction et l’éthique de discussion.